« Travaux personnels » du stagiaire ou de l’apprenti : S’agit-il d’heures de formation ?
- Laurent Riquelme

- 18 juin
- 5 min de lecture
Que la formation soit réalisée en « présentiel » ou à distance, la question de l’existence d’un temps de formation durant la réalisation par le stagiaire de « travaux personnels » se pose pleinement du point de vue juridique.
Prenons l’exemple d’une formation d’une durée de 500 heures, comprenant par exemple 100 heures pour la réalisation d’un mémoire : est-ce que ces 100 heures quantifiées pour la réalisation d’un mémoire constituent un temps de formation ?


De la même manière, dans une action de formation dite « multimodale », comprenant plusieurs types de modalités pédagogiques, avec des sessions de formation en « présentiel » et des sessions de formation à distance composées de plusieurs activités pédagogiques, d’interactions entre le stagiaire/apprenti et un formateur, et des évaluations, est-ce que toutes les activités pédagogiques et toutes les évaluations constituent un temps de formation ?
Du point de vue strictement légal, la réponse à ces questions est censée se situer à l’article L. 6313-2 du code du travail qui définit l’action de formation comme « un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel ».


Pour les actions de formation en « présentiel », nous savons que la sempiternelle feuille d’émargement constitue le justificatif de réalisation par excellence en cas de contrôle administratif et financier (DR[I]EETS), et que les agents de contrôle vont également vérifier d’autres éléments de preuve, comme par exemple l’existence de preuves de réalisation d’évaluations ou d’exercice pratiques tout au long de la formation, ou à la fin de la formation.
Cependant, en termes de justificatifs de réalisation, cette formation en « présentiel » repose avant tout sur la preuve d’un face à face pédagogique entre un formateur et des stagiaires/apprentis. Quid lorsque certaines activités pédagogiques (par exemple, la mise au point d’un mémoire) ou des évaluations sont réalisées en dehors de tout face à face pédagogique ?
Dans ce cas, faut-il considérer qu’il s’agit d’un temps de formation ?

S’agit-il de facto d’activités pédagogiques réalisées à distance lorsqu’elles sont réalisées par le stagiaire/apprenti en dehors de sa présence physique dans un lieu de formation commun, et pouvant être comptabilisées comme du temps de formation ?
Les réponses à ces questions sont assez complexes à définir pour une formation en « présentiel », car elles dépendent finalement de la définition en amont du « parcours pédagogique » incluant des temps de face à face pédagogique en « présentiel », mais aussi des « activités pédagogiques » et/ou des « évaluations » à réaliser à distance, lesquelles doivent, pour chacune d’elles, nécessairement reposer sur une « durée moyenne » d’exécution pouvant être démontrée en cas de contrôle DR[I]EETS, avec des éléments de preuve fiables, authentiques et matériellement vérifiables (preuves de la progression du stagiaire/apprenti dans un véritable « parcours pédagogique » composé de plusieurs jalons pédagogiques, preuves des évaluations réalisées et preuves des interactions entre les stagiaires/apprentis avec un formateur dans le cadre de l’assistance pédagogique habituellement requise dans toute action de formation professionnelle à distance)
En d’autres termes, la réalisation de « travaux » ou d’un mémoire par le stagiaire/apprenti en dehors de tout parcours pédagogique assorti des preuves de réalisation au sens indiqué ci-dessus ne pourra probablement pas constituer un temps de formation sur le plan juridique.


Pour les actions de formation réalisées essentiellement à distance, il est également essentiel de bien définir le « parcours pédagogique », notamment s’il se compose, d’une part, de périodes de face à face pédagogique à distance, individuelles ou collectives, à travers des visioconférences ou des « classes virtuelles », et, d’autre part, de périodes de formation sur un service dématérialisé de formation à distance (parfois dénommé, presque à tort, « e.learning ») dans le cadre duquel le découpage en jalons pédagogiques, la définition des activités pédagogiques (avec leur durée moyenne) et l’assistance pédagogique (avec des interactions entre les stagiaires/apprentis et un formateur) prennent toute leur importance (pour ne pas tomber dans le piège de l’auto-formation ou du « e.learning autonome » qui ne relève nécessairement pas du champ de la formation professionnelle).


Dans un contrôle exercé par l’Etat (DR[I]EETS) ou les organismes financeurs, il appartient à l’organisme de formation ou au CFA de fournir tous les justificatifs qui permettront de prouver ces différentes composantes, et ce, stagiaire par stagiaire, ou apprenti par apprenti.
La fourniture de simples relevés de connexions ou de feuilles d’émargement signées électroniquement peut être jugée insuffisante pour prouver la réalisation d’une formation à distance en face à face pédagogique. Il faut également se préparer au travail probatoire à l’égard des agents de contrôle, et fournir des preuves de la présence effective et participative de chaque stagiaire ou apprenti dans le cadre d’une visioconférence ou d’une « classe virtuelle » (un stagiaire ou un apprenti qui n’active jamais sa caméra et/ou qui ne participe jamais est-il réellement en formation ?). Ce travail de preuve se prépare en introduisant des règles de fonctionnement (activation obligatoire des caméras et/ou organisation régulière d’actions participatives obligatoires pour tous les stagiaires/apprentis au cours de la période de formation en visioconférence ou en « classe virtuelle », avec un système de détection des anomalies à défaut d’activation des caméras et/ou de participation active).


Pour les formations réalisées sur un service dématérialisé (plateforme d’apprentissage en ligne dénommée le plus souvent « LMS : Learning Mangement System »), le travail probatoire est parfois insuffisant de la part de l’organisme de formation ou du CFA. Il est toujours aussi important de pouvoir démontrer, à travers notamment des relevés de connexion, la progression du stagiaire à travers des jalons pédagogiques prédéfinis, composés chacun d’activités pédagogiques dont la durée effective pour chacune d’entre elles peut être prouvée (grâce aux relevés de connexion), et comparée avec une durée moyenne d’exécution préalablement définie, des preuves écrites (compte-rendu ou autres) des interactions pédagogiques entre les stagiaires/apprentis et le formateur durant les périodes de formation sur le service de formation dématérialisé, des preuves écrites des évaluations mises en œuvre pour chaque stagiaire ou apprenti.
Le reproche de « l’auto-formation » ne relevant pas du champ de la formation professionnelle est devenu malheureusement classique dans le contrôle des OF/CFA, car il ne s’agira probablement pas d’une action de formation professionnelle en l’absence de réelles interactions pédagogiques durant les périodes de formation sur la plateforme d’apprentissage en ligne, d’activités pédagogiques clairement documentées et mesurées, de réelles évaluations prouvables pour chaque stagiaire/apprenti.


Compte tenu de ces éléments, il est recommandé aux OF/CFA de définir clairement les différentes composantes du parcours pédagogique, et ce, quelle que soit la modalité pédagogique, en présentiel ou à distance, avec la logique permanente de la préparation en amont du travail probatoire à réaliser en cas de contrôle ultérieur (DR[I]EETS ou organisme financeur).
La recette est finalement simple, mais bien plus complexe qu’il n’y paraît en réalité, au regard des pratiques constatées dans nombre d’OF/CFA que nous assistons dans les différents contrôles, qu’il s’agisse de la DR[I]EETS ou des organismes financeurs.
Il existe encore de nombreux cas d’OF ou de CFA dans lesquels les travaux réalisés par les stagiaires ou apprentis sont quantifiés en heures de formation, sans que les conditions du travail probatoire susvisées ne soient réunies, ce qui expose au risque de devoir subir la présomption d’inexécution totale ou partielle de l’action de formation en cas de contrôle ultérieur avec, à la clé, un risque de remboursement au cocontractant des sommes perçues en contrepartie des actions réalisées, et ce, sur le fondement de l’article L. 6362-6 du code du travail :
« Les organismes chargés de réaliser tout ou partie des actions mentionnées à l'article L. 6313-1 présentent tous documents et pièces établissant les objectifs et la réalisation de ces actions ainsi que les moyens mis en œuvre à cet effet.
A défaut, celles-ci sont réputées ne pas avoir été exécutées et donnent lieu à remboursement au cocontractant des sommes indûment perçues ».

La présente chronique a été écrite par un humain (moi-même), et a pour objet d’opérer un rappel des exigences en matière de contrôle des preuves de réalisation qui doivent être produits par les OF et les CFA, en particulier par rapport à la question des travaux personnels réalisés par les stagiaires ou apprentis en dehors de tout face à face pédagogique.



![Contrôle DR[I]EETS des OF par l’agent Marteau et l’agent Marto !](https://static.wixstatic.com/media/d045ad_64207ba6f041447e808b7a20f92fbfdb~mv2.png/v1/fill/w_661,h_380,al_c,q_85,enc_avif,quality_auto/d045ad_64207ba6f041447e808b7a20f92fbfdb~mv2.png)
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