Après 22 ans passés à gérer des contrôles pour des Organismes de Formation (OF), je constate que les problèmes récurrents liés aux justificatifs de réalisation des formations constituent un récit circulaire absurde, où se jouent à l’infini les rapports difficiles entre les OF et l’administration (DREETS ou DRIEETS).
C’est une vieille histoire, avant même que je n’envisage de prêter serment à la fin des années 1990, les contrôles des OF tournaient déjà autour des mêmes rengaines : les feuilles d’émargement signées par les stagiaires présentaient parfois des incohérences, parce qu’elles n’étaient pas forcément signées le jour de la formation, et/ou parce qu’elles étaient toutes signées à la fin de la formation, ou parfois même avant le début de la formation, et/ou parce qu’elles n’étaient pas signées par le formateur, et/ou parce qu’elles étaient signées sur des jours fériés ou des jours de congés du stagiaire, et/ou parce qu’elles ne correspondaient pas aux réelles dates de formation, et/ou parce qu’elles étaient signées à la chaîne, et/ou parce qu’elles n’étaient pas signées par le stagiaire lui-même.
À cela, se sont ajoutées des pratiques de contrôle différentes : remboursement à l’organisme financeur des sommes perçues en paiement des formations, et/ou doublement de la sanction de remboursement à l’égard du Trésor Public (avec solidarité du dirigeant) pour avoir établi intentionnellement des documents de nature à tromper l’organisme financeur, et/ou rejet concomitant des dépenses afférentes aux activités de formation de l’OF teintées d’incohérences.
Nous sommes en 2024, et les problèmes sont toujours les mêmes aujourd’hui (sic !)
Certes, le développement de la formation à distance a fait évoluer les justificatifs de réalisation, mais les critiques de la part de l’administration sont toujours les mêmes.
Il n’existe pourtant aucun mode d’emploi et certains OF se font piéger par des pratiques qui ne leur paraissent pas illégitimes, alors qu’elles peuvent être considérés comme étant des actes potentiellement illicites de la part de l’administration.
Plusieurs exemples sont assez classiques dans les contrôles des OF :
L’OF fait signer des feuilles d’émargement pour des formations en présentiel ou en visioconférence, mais ces feuilles d’émargement ne sont manifestement pas signées le jour de la formation et, preuve parfois de la bonne foi de l’OF, ce dernier indique parfois clairement la date à laquelle les feuilles d’émargement ont été signées, a posteriori, à travers des signatures électroniques validées, toutes à la même date à la fin de la formation, sauf qu’un tel procédé ne garantit pas la fiabilité et l’authenticité des preuves de réalisation car les feuilles d’émargement n’ont pas été signées le jour-même de la réalisation de chaque session de formation,
L’OF produit des relevés de connexion extraits d’une plateforme sous forme de fichiers Excel, sans pouvoir justifier de l’authenticité des horodatages répertoriés sur lesdits fichiers (car non seulement le fichier Excel est évidemment modifiable à souhait par l’OF, mais surtout la fiabilité du système d’horodatage n’est pas garantie, si bien que l’OF peut être soupçonné d’avoir inventé les relevés de connexion de toutes pièces, comme un voleur de grand chemin…).
Le constat est simple : tous les OF ne sont pas des fraudeurs, mais certains OF peuvent être jugés comme tels par l’administration sans crier gare !
Les sanctions sont parfois très lourdes : l’article L.6362-7-2 du code du travail prévoit la possibilité pour l’administration d’appliquer un doublement de la sanction de remboursement en cas d’utilisation intentionnelle de documents ayant eu pour objet de tromper l’organisme financeur (CDC, OPCO, Etat, Collectivités territoriales, etc…), avec solidarité du dirigeant de fait ou de droit de l’OF sur son patrimoine personnel.
Il est donc opportun de rappeler quelques principes :
Pour les formations en présentiel, les feuilles d’émargement ou les procédés de signature électronique utilisés doivent être parfaitement fiables (signature authentique le jour-même de la formation de la part de chaque stagiaire ou apprenti et de chaque formateur, pas de signature numérisée utilisée avec un « copié-collé », et attention aux stagiaires ou apprentis qui ne signent pas toujours de la même façon, ou qui font évoluer leur signature au gré de leurs humeurs, attention également aux stagiaires ou apprentis qui signent avec le doigt de façon digitalisée ou avec un stylet, car les signatures peuvent être variables dans leurs formes),
Pour les formations à distance en face à face pédagogique (synchrone), il faut utiliser un moyen fiable de justifier de la réalisation de la session en visioconférence, avec par exemple un relevé de connexion horodaté (avec un procédé fiable sur lequel l’OF ne peut apporter aucune modification), doublé si possible d’une signature électronique horodatée (en recourant autant que possible à un tiers de confiance validant les signatures électroniques).
Pour les formations à distance en autonomie sur une plateforme (asynchrone), il faut utiliser des relevés de connexions à partir d’un procédé fiable, pouvant produire des preuves authentifiées en cas de contrôle (procédé d’horodatage fiable avec date/heure de connexion et date/heure de déconnexion authentifiées), étant rappelé que le système d’apprentissage en ligne doit conduire le stagiaire ou l’apprenti à être actif, de façon à ce qu’une déconnexion automatique intervienne à défaut d’activité sur la plateforme (afin d’éviter les distorsions énormes que l’on constate parfois entre le nombre d’heures de connexion réelles et le nombre d’heures normalement requis en moyenne pour réaliser le parcours de formation en ligne : imaginez des relevés avec 12 heures de connexion continue sur une tranche de 24 heures et c’est ce que nous voyons parfois en pratique !).
Bien entendu, les feuilles d’émargement et/ou les relevés de connexion ne constituent pas les seuls éléments pris en compte par l’administration pour apprécier la preuve de réalisation d’une action de formation (car il y a aussi les évaluations, les exercices pratiques, les supports pédagogiques, etc…), mais si le contrôle démarre par des incohérences et/ou des défauts de conformité sur les feuilles d’émargement et/ou les relevés de connexion, c’est évidemment mal parti…
Il faut savoir aussi que la méthode de contrôle souvent employée par les agents de contrôle des DREETS/DRIEETS consiste à comparer les dates/heures qui figurent sur les factures des formateurs et/ou les planning de formation avec les dates/heures figurant sur les feuilles d’émargement et/ou les relevés de connexion. Si des incohérences apparaissent dans ces comparatifs, mauvaise limonade… !
Par ailleurs, il est important de rappeler que l’assistance technique et pédagogique pour les formations à distance sans face à face pédagogique (dont nous avons déjà parlé dans une précédente chronique) doit également être prouvée en cas de contrôle : pas de preuve de l’assistance pédagogique, pas de chiffre d’affaires, et se profile alors à l’horizon une sanction de remboursement (pouvant être doublée si le critère intentionnel est retenu).
Enfin, un OF doit être conscient que des justificatifs de réalisation validés à l’occasion d’un « contrôle de service fait » réalisé par un organisme financeur (CDC ou OPCO par exemple) peuvent cependant être jugés non fiables en cas de contrôle ultérieur par la DREETS/DRIEETS.
La formation est un métier dangereux, propice aux pratiques délictives, pas toujours conscientes…
En espérant que ces quelques conseils vous seront utiles,
Bonne continuation !
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